En ce 29 mai, les Nations Unies célèbrent la Journée internationale des Casques bleus de l’ONU. Chaque année, cette Journée permet de rendre hommage au personnel civil, policier et militaire pour sa contribution inestimable au travail de l’Organisation.

NEW YORK, USA, le 31 Mai 2021,-/African Media Agency (AMA)/-C’est aussi l’occasion d’honorer la mémoire de plus de 4.000 Casques bleus qui ont perdu la vie en servant sous le drapeau des Nations Unies depuis 1948, dont 129 hommes et femmes en 2020.

L’édition 2021 de la Journée a été placée sous le thème « La voie vers une paix durable : mobiliser le pouvoir de la jeunesse en faveur de la paix et de la sécurité ».

Pour en savoir plus sur ce thème, ONU Info a rencontré le chef des opérations de paix, Jean Pierre Lacroix. Cet entretien a été réalisé en collaboration avec trois radios de missions de paix francophones, Mikado FM au Mali (MINUSMA), Guira FM en République centrafricaine (MINUSCA) et Radio Okapi en République démocratique du Congo (MONUSCO).

ONU Info a d’abord demandé à Jean-Pierre Lacroix pourquoi il importe de mettre l’accent sur la jeunesse dans le contexte du maintien de la paix.

Jean-Pierre Lacroix : Pourquoi la jeunesse ? Eh bien d’abord parce que le travail de protection des populations, le travail de soutien aux efforts de paix, c’est un travail qui est tourné vers l’avenir et donc c’est un travail qui est tourné vers la jeunesse et les aspirations de la jeunesse. Et aussi parce que dans nos opérations nous avons la majorité de nos collègues qui sont des jeunes, que ce soit des civils, des militaires ou des policiers.

Aussi, troisième raison, parce que la plupart des pays dans lesquels nos opérations sont actives ont des populations qui sont très jeunes. Et donc travailler avec ces populations, avec les jeunes, les femmes, tous ceux qui ont un enjeu particulier dans l’avenir de leur pays c’est essentiel. Et je crois que le thème de la jeunesse est vraiment complètement au centre de nos préoccupations. MINUSMA/Harandane DickoLa MINUSMA et ses partenaires, ont organisé des Podium de la Paix à Bamako, Mopti, Tombouctou et Gao, une vitrine pour que la jeunesse malienne s’exprime sur la Paix à travers la musique, le slam, le rap etc.

Mikado FM : Que dites-vous à un jeune qui voudrait s’engager comme Casque bleu mais qui redoute les conditions difficiles dans lesquelles travaillent parfois les soldats de la paix ?

Jean-Pierre Lacroix : Je lui dirais d’abord que nous sommes tous aujourd’hui dans le même bateau. C’est à dire que les enjeux de la paix, ils sont universels. S’engager au service de la paix, c’est s’engager pour une sorte d’idéal collectif et pour quelque chose qui nous concerne tous.

Bien sûr les conditions dans lesquelles nos collègues travaillent sont toujours difficiles. D’ailleurs sinon il n’y aurait pas d’opérations de maintien de la paix déployées dans ces endroits-là.

Mais ce que j’ai observé sur le terrain, en parlant avec nos collègues, en parlant avec les jeunes dans nos missions — les civils, les volontaires, les autres les soldats et les policiers – c’est qu’il y avait énormément d’enthousiasme, énormément de détermination, énormément de volonté d’aider, et, je crois, une très grande joie dans le fait de servir et de servir à quelque chose.  Servir une cause qui est juste et servir des populations, d’aider des communautés qui en ont besoin.

Et je trouve qu’en les écoutant il y a quelque chose de très motivant, presque de d’exaltant, dans cette mission. Donc c’est ça que je leur dirais.

Il faut faire la part des choses, mais renseignez-vous, parlez à ceux qui sont sur le terrain. Et je crois qu’ils auront la même impression que moi. Oui c’est difficile.  Mais en même temps c’est exaltant. C’est très motivant.  Il y a un sens de la communauté. Il y a un sens de de l’effort collectif tourné vers des objectifs, vers des idées, qui sont vraiment au cœur de nos valeurs positives des Nations Unies.

Mikado FM : Vous avez visité récemment plusieurs missions de l’ONU. Vous avez été notamment au Mali. Est-ce que vous pouvez partager avec nos auditeurs le souvenir de rencontres qui vous ont marquées et qui illustrent l’importance d’impliquer les jeunes dans les opérations de maintien de la paix ?

Jean-Pierre Lacroix : Oui bien sûr. D’abord parce que très souvent dans les visites avec mes collègues, d’ailleurs souvent accompagné moi-même de collègues qui sont des jeunes, nous avons rencontré des représentants de la jeunesse.

Que ce soit à Gao et aussi dans le centre du Mali, j’ai entendu très clairement ces jeunes à la fois dire quels étaient leurs espoirs, leurs aspirations, mais aussi dire à quel point la présence de nos collègues des missions, la présence de nos opérations, les aidait et les aidait à avoir de l’espoir.

Et je crois que c’est très important d’avoir ça à l’esprit parce qu’on entend beaucoup de choses sur les Nations Unies, sur nos opérations, beaucoup de désinformations, beaucoup de « fake news », parfois, de manipulations.

Et je crois qu’il ne faut pas perdre de l’esprit ce que nous disent les populations, là où nous sommes présents, et notamment ce que nous disent les jeunes. À quel point ils peuvent trouver, à travers l’action que mènent nos collègues une source d’espoir, une source d’espérance, pour l’avenir.

Et je voudrais aussi dire que j’ai fait des rencontres qui sont restées gravées dans ma mémoire. Des rencontres de jeunes collègues, très souvent de jeunes collègues, qui sont dans nos missions.

Puisqu’on parle du Mali, j’étais il n’y a pas très longtemps dans la région de Tombouctou à Niafounké. J’ai rencontré des jeunes soldats du Burkina Faso qui étaient dans cette zone qui est assez reculée. Ils travaillaient avec nos collègues du Mali et on sentait qu’il y avait une solidarité, une volonté commune, pour que la situation s’améliore.MINUSCA/Hervé SerefioLe bataillon féminin de Zambie à Birao, en RCA, organise régulièrement des activités civilo-militaires (CIMIC) dans le but de renforcer la cohésion sociale.

Guira FM: Au cours de vos visites en République centrafricaine vous avez notamment été à la rencontre des jeunes, qu’avez-vous retenu de ces échanges et quel rôle pourraient jouer les jeunes centrafricains dans la pacification de leur pays ?

Jean-Pierre Lacroix : D’abord je crois que la République centrafricaine est l’un des pays où la population est la plus jeune et aujourd’hui il y a beaucoup de frustration face à la situation sécuritaire. Mais aussi beaucoup d’espoir parce que le pays peut se relever s’il y a un processus qui soit un processus reposant sur plusieurs piliers.

Le pilier d’abord de la stabilité institutionnelle, du respect des institutions, de la poursuite d’efforts de dialogue inclusif, avec tous ceux qui acceptent le dialogue, évidemment– pas ceux qui s’en tiennent au recours aux armes.

Le 2ème pilier, c’est celui de l’action sécuritaire qui est indispensable, parce qu’il y a en République centrafricaine ceux qui ne sont pas dans l’esprit de dialogue, il faut le reconnaître. Pour ceux-là, c’est une réponse sécuritaire qui s’impose.

Le 3ème pilier, c’est que les principes fondamentaux soient respectés et que tous ceux qui sont responsables de crimes, de violations des droits de l’homme, puissent rendre compte de leurs actes d’où qu’ils viennent, quels qu’ils soient.

Je crois que c’est sur ces 3 piliers que l’on peut aider à tracer le chemin de la paix, en étroite coopération avec les responsables centrafricains et les communautés sur le terrain partout en République centrafricaine.

Guira FM : Des jeunes ont manifesté à plusieurs reprises à Bangui ces dernier temps pour dénoncer l’Accord politique pour la paix au prétexte qu’il va créer des groupes rebelles qui ont repris les armes à l’occasion des dernières élections. Où en est la mise en œuvre de l’Accord politique pour la paix ?

Jean-Pierre Lacroix : Que des jeunes manifestent, en République centrafricaine ou ailleurs, c’est normal. Ça n’a rien de condamnable parce que nous sommes, nous-mêmes Nations Unies, promoteur de la démocratie, des droits de l’homme.

Maintenant, quand on regarde le chemin vers la paix et la stabilité en République centrafricaine, bien sûr il y a la réponse sécuritaire nécessaire. Encore une fois, je le répète, il y a ceux qui aujourd’hui refusent, du côté de ceux qui ont pris les armes, refusent le dialogue. Alors dans ce cas, il n’y a pas d’autres approches que de changer le rapport de force pour les ramener au dialogue.

Maintenant, tous les signataires de l’Accord de paix, de l’accord de janvier 2019, n’avaient pas pris les armes. Je constate aussi que même dans les groupes qui ont recouru aux armes, pendant les élections et au lendemain des élections, il y a des scissions, il y a les divisions et je crois que ce sont des opportunités à saisir pour ramener vers le dialogue ces personnes et ces groupes.

Et pourquoi je dis ça ? Parce que, à la fin des fins, la stabilité en République centrafricaine, elle se fera par la réunion des communautés. Elle se fera par l’instauration d’un climat de paix et d’un climat de dialogue. La réponse sécuritaire est nécessaire mais elle ne peut pas à elle seule suffire. Il faut qu’au-delà de cette réponse il y ait une approche la plus inclusive possible.

Le Président Touadéra a d’ailleurs récemment engagé un dialogue républicain, ce qui est une bonne chose en soi et nous l’encourageons. Nous encourageons que ce dialogue soit le plus inclusif possible. Mais attention, inclusif ça ne veut pas dire dialoguer avec ceux qui refusent totalement ce dialogue et qui continuent de privilégier le recours à la force.ONU Photo /Sylvain LiechtiDes habitants de la région de Beni en RDC saluent le passage de soldats de la paix dans un véhicule blindé de transport de troupes de la MONUSCO.

Radio Okapi : Durant tout le mois d’avril, plusieurs manifestations anti-MONUSCO ont eu lieu dans la province du Nord-Kivu, des manifestations menées pour la plupart par des jeunes, pour dénoncer l’inaction de la Mission face aux tueries des populations civiles. Quelles sont les dispositions actuelles prises pour rassurer la population à propos de l’implication des Nations Unies dans la recherche effective de la paix ?

Jean-Pierre Lacroix : D’abord je comprends qu’il y ait frustration : parce que la situation dans ces régions est loin d’être parfaite et on le sait bien.

Mais je voudrais quand même dire, pour m’être rendu plusieurs fois dans la région, pour avoir plusieurs fois visité des zones reculées où la MONUSCO est présente, que notre action fait une différence et même une différence très grande pour un grand nombre de Congolais dans cette région.

Des communautés entières m’ont dit avec beaucoup de sincérité, mais en même temps beaucoup de de clarté, qu’elles nous étaient très reconnaissantes de ce que nous faisions. Je crois qu’il faut faire la part des choses et ne pas avoir l’impression que ces manifestants représentent une position majoritaire ou unanime dans ces régions. Mais ils représentent une frustration qui est réelle et donc notre défi collectif, avec les autorités congolaises, c’est de faire davantage.

Pour ce qui est du volet sécuritaire, nous sommes en train de renforcer la MONUSCO et nous espérons que ça débouchera sur des capacités de réaction rapide plus forte. Mais je crois qu’il faut souligner plusieurs autres points.

D’abord nous devons continuer de travailler avec les forces de sécurité et les forces armées congolaises. C’est essentiel sinon évidemment nous aurons beaucoup de difficultés pour faire des progrès. Et d’autre part, nous devons favoriser aussi et travailler activement, encore une fois avec les Congolais, à des solutions plus en profondeur. Et je reviens à ce que je disais tout à l’heure : la réconciliation entre les communautés, la promotion d’une économie qui bénéficie à tous et non pas aux circuits criminels, non pas à ceux qui perpétuent le chaos et n’ont aucun intérêt à ce que nous atteignions nos objectifs.

Je crois qu’il y a dans ces fausses informations, ces manipulations qui circulent parfois dans les médias au sujet de l’action de la MONUSCO, la main de ceux qui souhaiteraient que nous ne soyons pas là, quiI souhaitent en tout cas que nos objectifs de paix, de stabilité, de concorde entre les communautés ne soient pas atteints.

ONU Info : Nous arrivons au terme de notre conversation. Un mot pour la fin ?

Jean-Pierre Lacroix : D’abord je voudrais encore une fois rendre hommage à nos collègues qui sont sur le terrain. Je crois qu’il faut aussi associer dans cet hommage tous ceux qui ont servi dans nos opérations depuis la création du maintien de la paix, plus d’un million de personnes et en particulier ceux qui ont perdu la vie.

La Journée des soldats de la paix, c’est aussi une occasion de se remémorer tous les sacrifices qui ont jalonné le parcours des opérations de maintien de la paix depuis toutes ces décennies, avec plus de 4.000 personnes qui ont servi et qui ont perdu la vie en servant cette cause de la paix au service des Nations Unies.

Je voudrais simplement rappeler qu’il y a une longue histoire, une histoire faite de succès, de réalisations très importantes, au service de la paix mais aussi une histoire qui est faite de sacrifices.  Et aujourd’hui je voudrais rendre hommage à ces tous ceux qui se sont sacrifiés et bien évidemment aussi à leurs familles.

Distribué par African Media Agency (AMA) pour ONU Info.

Source : African Media Agency (AMA)

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