Pékin se préparerait littéralement à une guerre contre Washington

L’agence de presse japonaise Kyodo News a publié un texte interne de la Commission centrale de l’armée chinoise, présentant clairement une stratégie de lutte contre les États-Unis.

 

 

Son auteur estime notamment qu’elle permettra de «dépasser dans un virage» l’hégémon mondial affaibli, voire de «mettre fin au conflit et de gagner la guerre» avec ce dernier.

Si le contenu de cette fuite apparue dans les médias internationaux reflétait en effet la vision des dirigeants chinois, nous pourrions faire face à une hausse considérable des risques de guerre entre les États-Unis et la Chine dans un avenir proche. Le fait est que les stratèges chinois envisagent non seulement de protéger leur pays, mais aussi de lancer un défi à la domination américaine en mer qui permet aux Américains, en cas de nécessité, d’«étrangler» leurs adversaires grâce au contrôle qu’ils exercent sur les routes du commerce maritime. Il est très difficile voire impossible de s’imaginer que les autorités américaines (indépendamment des partis et de l’orientation idéologique) permettent à la Chine de mettre en œuvre ce projet sans une résistance acharnée de toute la puissance étatique et militaire des USA.

Kyodo News et le Japan Times citent les principales thèses de ce document selon lequel la Chine envisagerait d’élargir sa présence militaire loin de ses propres frontières.

Un chapitre souligne notamment que l’Armée populaire de libération de la Chine focalise ses préparatifs militaires sur la défense du littoral, et qu’à l’époque contemporaine l’armée doit renforcer ses capacités sur terre, en mer et dans les airs, en plus de se développer hors de sa zone d’action traditionnelle. Extrait: «Alors que nous nous ouvrons et étendons nos intérêts nationaux hors de nos frontières, nous avons besoin d’urgence d’une protection totale de notre sécurité dans le monde entier».

 

 

Le texte souligne à plusieurs reprises la nécessité absolue de l’obéissance totale de l’armée aux directives du président Xi Jinping, ce qui fait dire aux analystes occidentaux que le leader chinois a joué un rôle décisif dans l’élaboration de ces nouvelles orientations des forces armées nationales.

Washington analysera très probablement ces modifications de la position chinoise à travers le prisme du défi à l’exceptionnalité américaine car les États-Unis considéraient jusqu’à récemment le monde entier comme la sphère de leurs intérêts nationaux, qu’ils étaient prêts à protéger et à promouvoir par la force militaire. Les stratèges de Pékin ne voulaient pas forcement copier les approches américaines, mais comme on constate des humeurs antichinoises assez marquées au sein de l’administration Trump, on doute que cette dernière croie que la Chine n’aspire pas en réalité à une confrontation musclée avec les États-Unis dans les régions-clés de la planète.

La peur de l’expansion chinoise est un élément important de la pensée militaire et politique américaine, bien qu’il soit moins visible que l’hystérie antirusse. Quand les généraux américains lisent dans ce texte (présumé) de la Commission centrale de l’armée chinoise que la réforme militaire permettra de «gérer plus efficacement les crises, de mettre fin au conflit, de gagner la guerre et de protéger l’expansion des intérêts nationaux stratégiques», ils se souviennent probablement d’une audience récente du Congrès américain consacrée à la «menace chinoise». Suite à cette séance, le magazine Newsweek avait publié un article intitulé «L’expansion militaire chinoise et la construction (militaire) globale m’empêchent de dormir tranquillement, dit le secrétaire à la Marine». Les propos précis de ce dernier, cités par les journalistes américains, suggèrent d’autres réflexions intéressantes:

«Quand il s’agit de la Chine, l’essentiel est son carnet de chèques. Cela concerne non seulement les dollars et les cents qu’ils octroient pour soutenir leur expansion militaire et le développement technologique, mais aussi ce qu’ils font dans le monde entier… ils utilisent le capital comme une arme. Leur carnet de chèques ouvert m’empêche de dormir tranquillement», avait déclaré Richard Spencer au Sénat.

 

 

Ce texte chinois retentissant, qui est actuellement analysé par les médias japonais et occidentaux, contient un détail très important qui reflète parfaitement la mentalité chinoise et démontre en même temps que les analystes de Pékin ont fait des efforts considérables pour bien comprendre la logique occidentale. Ainsi, le document indique que c’est la formation d’une armée capable de mener des opérations réellement globales qui devrait permettre à la Chine d’éviter le «piège de Thucydide». Ce terme, inventé par Graham Allison, professeur de l’Université Harvard, politologue, expert en théorie de décision et ancien vice-ministre américain de la Défense, désigne une situation dans laquelle dès qu’un hégémon potentiel commence à accumuler ses forces, l’hégémon actuel a de plus en plus de peur de lui, ce qui rend inévitable la guerre entre les deux puissances. On cite d’habitude comme premier exemple d’une telle guerre le conflit entre Sparte et Athènes, dont le caractère imminent avait été analysé par Thucydide.

Les auteurs de la stratégie chinoise soulignent qu’un élargissement radical des capacités globales de l’armée chinoise permettra d’«éviter l’obsession de l’imminence d’une guerre entre une puissance en développement et l’hégémon actuel». Cette estimation pourrait pourtant s’avérer trop optimiste. Une tentative d’élargir considérablement les capacités globales de l’armée chinoise pourrait facilement provoquer des actions agressives et radicales de la part de Washington, qui ne se limitera pas à la pression économique ou diplomatique. Qui plus est, on a l’impression que malgré une rhétorique très pragmatique de Donald Trump, qui souligne la motivation économique de la guerre commerciale avec la Chine, l’objectif réel de Washington dépasse les limites du rééquilibrage du commerce extérieur. Compte tenu des propos du secrétaire à la Marine Richard Spencer sur l’«utilisation du capital comme une arme», on peut logiquement supposer que la guerre commerciale (voire de sanctions) ne vise pas en réalité le rééquilibrage du commerce extérieur, mais l’élimination de cette «arme chinoise redoutable».

Si cette analyse s’avérait juste, cela poserait deux questions importantes.

Premièrement, combien de temps faudra-t-il à Washington pour comprendre que la guerre commerciale et les sanctions (par exemple, contre la compagnie ZTE) ne lui permettront pas d’atteindre ses objectifs?

Deuxièmement, que fera l’administration Trump après avoir épuisé les moyens économiques?

Le fait que les navires de guerre américains ont déjà passé de manière ostensible le détroit de Taïwan, et que Taïwan devrait accueillir bientôt le premier groupe de l’infanterie de marine américaine, indique probablement où et comment les États-Unis envisagent de défendre leurs prétentions à l’hégémonie mondiale.

 

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